SOUS LA TERRE DES MAORIS, de Carl Nixon
De la Nouvelle Zélande nous savons peu de choses, et les auteurs dont la notoriété est arrivée jusqu’à nous sont plutôt rares. Bien sûr les fans de thriller auront tôt fait d’évoquer Paul Cleave, un écrivain qui en quelques romans s’est imposé comme une pointure dans ce genre.
Mais ici il ne se s’agira pas de thriller, ni d’un roman policier d’ailleurs. Mais plutôt d’une histoire personnelle. Celle d’un homme confronté à ce que la vie peut offrir de plus cruel et de plus brutal.
« Sous la terre des Maoris » est un roman sur le deuil, le rapport à la terre et à la mémoire des êtres.
Si vous y trouvez bien quelques passages où la violence physique affleure, ce sera tout. Ici point de fusillades, de règlements de compte sanglants, de crime odieux.
Juste la douleur infinie et insondable de la perte.
Il s’appelle Box Saxton . Longtemps il a été entrepreneur de maçonnerie. Une affaire qui tournait bien, et des projets à foison.
Mais voilà, la crise est passée par là et Box a dû plier boutique.
Alors il court le pays pour travailler sur des chantiers. C’est un besogneux, et il assume sans se plaindre de redevenir simple ouvrier même si les fins de mois sont difficiles.
C’est sur l’un de ces chantiers qu’il va apprendre la mort tragique de son fils Mark. Un coup de fil et le poids du monde qui lui tombe sur les épaules, sonné, K.O debout.
Mark s’est suicidé. Pendu à un arbre en haut d’une colline surplombant la ville. Aucun mot, aucune raison pour expliquer son geste.
La douleur fulgurante et terrible, le vide de l’absence béante, sa vie et celle de sa femme Liz basculent dans l’abîme dans une chute perpétuelle.
Mais il faut penser aux funérailles du garçon. De retour au pays il organise les obsèques de son fils mais l’arrivée chez lui d’un groupe de Maoris va bouleverser l’ordre des choses.
Dans ce groupe venu honorer la mémoire de Marck, se trouve Tipene, l’ancien compagnon de Liz que cette dernière a averti de la tragique nouvelle.
C’est lui le père biologique de Mark. Et s’il ne l’a pas élevé, n’a jamais revu son fils il est venu chercher le corps de Mark pour qu’il soit enterré sur la terre de ses ancêtres, respectant ainsi les coutumes du clan.
La discussion avec Box tourne court. Hors de question que Mark soit enterré ailleurs qu’auprès de sa vraie famille, celle qui l’a choyé et vu grandir, là où sont déjà enterrés les siens. L’incompréhension est totale.
Le lendemain, le corps de Mark a disparu.
« Sous la terre des Maoris » fait partie de ces romans qui font réagir. Soit vous aimez cette histoire, soit vous en revenez avec un goût d’inachevé, un manque de quelque chose.
Pour ma part j’ai tout bonnement adoré le livre. C’est un bouquin qui touche son lecteur.
Et je trouve à celui-ci les qualités que d’autres lui prêtent comme faiblesses.
A commencer par le choix délibéré de l’auteur à ne rien dire sur ce jeune garçon qui a décidé de mettre fin à ses jours. On ne sait rien de lui, de sa souffrance, de son mal-être ou de ses motivations qui l’ont conduit à ce suicide silencieux. Un être à peine esquissé de quelques mots.
Comme si l’auteur avait voulu laisser le personnage principal ( et avec lui le lecteur) entièrement nu face à l’incompréhensible, à l’immensité de la mort qui avale l’univers des vivants qui restent, rendant plus abrupte et rêche l’absurdité d’une vie qui s’en va.
Au bord de ce gouffre abyssal que représente cette absence définitive, Box se retrouve seul avec lui-même et sa douleur incommensurable, qu’accompagne une colère sourde qu’il ne peut extérioriser. Si en apparence il reste fort et digne, intérieurement les dégâts sont colossaux.
Carl Nixon fait le choix de poser son regard sur cet homme implosé, bien décidé à retrouver le corps de son fils.
Nous le suivons dans une introspection personnelle qui le renvoie à sa propre enfance, aux souvenirs de son enfance, à sa relation charnelle à la terre, à mesure où, en même temps sa raison se dissout peu à peu dans une folie obsessionnelle pour ramener ce corps qui devient progressivement impersonnel et que se déchirent deux cultures bien différentes.
Car la dépouille de Mark est devenu un enjeu entre deux mondes qui coexistent mais ne se comprennent pas. Deux cultures qui se font face dans l’incompréhension alors qu’elles ont pourtant en commun cette même nécessité absolue d’avoir auprès d’elle le corps d’un défunt pour assurer le lien entre les morts et les vivants.
L’opposition entre Box et Tipene, incapable de trouver ensemble un compromis autour de la mort de cet adolescent symbolise jusqu’à l’absurde cette incompréhension, cette opposition de deux mondes condamnés à vivre ensemble mais qui ne recherchent pas ce qu’ils peuvent avoir en partage. Le mélange des cultures si souvent prônés comme bénéfique montre ici ses limites.
Reste alors la fuite…. Loin du monde.
Ecrit d’une plume simple mais délicate, Carl Nixon livre un roman sobre et épuré
Sans doute cherche-t-il, tout à la fois, à placer pleinement son lecteur en face de cette réalité brutale et crue, et à mettre en exergue cette fracture immense qui parcourt la Nouvelle-Zélande où les populations doivent encore se chercher un destin commun.
« Sous la terre des maoris » est pour moi l’un des meilleurs romans de cette année 2017.